Fontevraud et les Fontevristes
Vers 1045, naît à Arbrissel, petit village aux confins de la Bretagne, là où déjà elle rejoint l’Anjou, celui qui allait devenir « l’étonnant fondateur de Fontevraud », Robert d’Arbrissel.
Il est fils de prêtre, ce qui, à l’époque où il naît, n’est pas spécialement insolite. La famille n’est pas riche. L’enfant, puis l’adolescent et le jeune homme, mène une vie insouciante, voire dissipée. Il devient lui-même prêtre et, alors qu’il a déjà atteint la trentaine, il se rend à Paris où il demeure plusieurs années, enfin décidé, semble-t-il, à rattraper le temps perdu et à étudier sérieusement.
Le parcours de Robert d’Arbrissel
L’évêque de Rennes l’appelle près de lui pour l’aider à réformer son diocèse ; le jeune clerc qui commençait à ressentir pour lui-même le désir d’une vie évangélique vraie, déploya un zèle sans nuance et préféra, au bout de quatre ans, quitter la place. Avec soulagement, Rennes le vit prendre la route d’Angers.
Robert approche de la cinquantaine. Dans son exil angevin, l’attend ce qu’on appelle sa « conversion » : durant deux ans, il étudie avec ardeur, pratique dans le secret la grande pénitence, enfin, abandonnant tout, il se retire dans la forêt de Craon, à la Roe. Nous sommes en 1095, ses austérités ne se dissimulent plus et bientôt Robert intrigue, attire… Sa vie retirée se double d’un apostolat oral : doué d’un grand talent oratoire, il prêche, exhorte à la conversion ceux qui le visitent et bientôt devient l’apôtre errant qu’il ne cessera d’être jusqu’à sa mort. Une communauté se forme, mais l’appel de la route est plus fort et ayant assuré à sa communauté une organisation lui permettant de se maintenir, Robert l’abandonne en 1098, tout entier donner à sa mission de prédicateur itinérant. Cependant, sa personnalité et son enseignement ne cessent d’attirer : tout un groupe bientôt l’accompagne, foule bigarrée et mixte.
Contraint de stabiliser sa troupe hétéroclite pour éviter les scandales, Robert l’installe à partir de 1101 dans la solitude austère de Fontevraud et lui donne une organisation rudimentaire, mais ferme, sauvegardant la mixité, mais dans une séparation des groupes. L’auteur de la vie de Robert brosse un tableau idyllique de ces débuts, quand régnait une harmonie fraternelle, chacun vaquant à sa vocation sans murmure ni jalousie, dans des conditions matérielles plus que précaires qui développaient la ferveur.
On ne cesse d’accourir vers Fontevraud et voilà que la noblesse elle-même, séduite, rejoint le prédicateur devenu fondateur malgré lui. L’arrivée de plus en plus importante de novices de noble origine va infléchir la fondation dans une direction que n’avait pas prévue Robert ; l’affluence de vocations, de toutes façons, réclamait, pour durer, un minimum de moyens : seigneurs, princes, riches familles dotèrent largement l’Ordre naissant, plus largement sans doute que ne le laissaient présager les humbles débuts.
Bientôt une organisation plus sélective, devenue nécessaire, aboutit à l’édification de cinq ensembles :
- Le Grand Cloître qui deviendra le Grand Monastère, pour les contemplatives
- Saint Jean de l’Habit pour les frères
- Sainte Madeleine pour les prostituées repenties
- Saint Lazare pour les lépreux
- Saint Benoît, une grande infirmerie
Cependant Fontevraud conservait sa double originalité :
- la compassion pour les petits, les marginaux, les exclus, grâce à la Madeleine et Saint Lazare, destinés aux repenties et aux lépreux.
- La mixité. Fontevraud est un ordre double, avec cette particularité exceptionnelle d’être gouverné par une Abbesse choisie parmi les moniales du Grand Monastère.
N’idéalisons pas ! Il ne s’agit pas d’une « promotion de la femme » : Robert est un ascète, devenu fondateur à son corps défendant. Quand, à force d’insistance, on obtient qu’il organise le gouvernement de ses communautés, il réagit en ascète soucieux d’humilité : d’abord il refuse pour lui-même l’abbatiat, et s’il choisit une femme, c’est pour mortifier l’orgueil masculin !
Le 18 octobre 1115, Pétronille de Chemillé, déjà Prieure des moniales, devient première Abbesse de l’Ordre de Fontevraud.
C’est la dernière grande décision de Robert ; il reprit son apostolat itinérant qu’il n’avait pas complètement abandonné. C’est au cours d’une tournée dans le Berry qu’il meurt le 25 février 1116. Son corps fut ramené à Fontevraud et, revêtu des habits sacerdotaux qui lui donnaient une dignité que le farouche prédicateur avait toujours fuie, Robert fut enterré dans le chœur des moniales, dans l’Abbatiale.
Nous n’allons pas suivre en détail Fontevraud au long des huit siècles qui ont laissé dans l’histoire religieuse le souvenir certes de gloires humaines (les grands, à commencer par les rois, faisaient élever leurs filles à l’Abbaye), mais aussi d’une authentique ferveur et d’un foyer spirituel ardent.
Par un rapide zapping, arrivons aux soubresauts de la Révolution : en 1791, les frères, dans une quasi-unanimité, reviennent à la vie séculière. L’année suivante, c’est aux moniales qu’est intimé l’ordre d’abandonner l’Abbaye : tout en maintenant presque toutes le choix de leur vie religieuse, elles sont dispersées. En janvier 1793, les locaux de l’Abbaye sont livrés au pillage et à la profanation. Le 18 octobre 1804, un décret transforme les lieux en maison centrale de détention : cette mesure, paradoxalement, sauva les lieux, les protégeant de la démolition. La prestigieuse maison de prière devait rester une prison jusqu’en 1963, date à laquelle commença sa transformation en centre culturel.
Et les moniales ?
Nous l’avons dit, la plupart d’entre elles restaient fidèles à leurs vœux et attendaient le moment de reprendre la vie religieuse. Une renaissance se fit dans deux anciens prieurés de l’Ordre : Boulaur (Gers) et Brioude (Haute Loire). À la suite de la loi de 1904, les religieuses de Boulaur se réfugièrent à Véra de Navarra, en Espagne où s’éteignit l’espoir d’une renaissance. De même les fontevristes de Brioude, dont une partie alla rejoindre la communauté de Véra, ne purent survivre.
L’aventure de Chemillé.
En 1803, le curé de Notre-Dame, qui désire fonder une école de filles, s’adresse à Mademoiselle Joséphine Rosé, ancienne fontevriste ; avec sa sœur aînée, Rose, également fontevriste, elle va durant trois ans faire prospérer une école accueillant un nombre croissant d’enfants. En 1806, elles s’installent dans une demeure plus vaste et songent de plus en plus sérieusement à restaurer une vie monastique.
Des compagnes les rejoignent, anciennes fontevristes ou vocations nouvelles. Le 28 août 1817, eurent lieu les premières professions publiques : leur célébration s’accompagna de la reprise de l’habit religieux.
Le 22 janvier 1818, le curé de Notre-Dame bénit un modeste oratoire permettant à la communauté d’avoir le Saint Sacrement à demeure. Le 30 septembre 1824, les religieuses obtiennent l’autorisation de rétablir la Règle de Fontevraud : la communauté devient l’Institut Sainte Marie de Fontevraud. En 1827, sera posée la première pierre de la grande chapelle.
A Fontevraud, en 1842, à l’occasion de travaux dans l’ancienne abbatiale, dont le chœur servait de chapelle et la nef de dortoir pour les prisonniers, on découvrit par hasard le coffret – la capse – où en 1622, les fontevristes avaient déposé les restes de leur fondateur. La communauté de Chemillé, ayant obtenu du gouvernement de Louis-Philippe de se la voir confier, reçut la capse de plomb en 1847 et, le 24 novembre, la fit ouvrir pour une reconnaissance des reliques dont on dressa un procès-verbal.
Le reliquaire de cuivre argenté contenant les restes du cœur de Robert et conservé à l’église du prieuré de Saint Jean de l’Habit, ainsi que le bâton pastoral que l’Abbesse Pétronille avait fait mettre dans le tombeau du fondateur, furent également confiés au prieuré de Chemillé.